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Le roman choc de 2024 : "Katie" de Michael McDowell

  • Photo du rédacteur: Spectrography
    Spectrography
  • 23 déc. 2024
  • 5 min de lecture

Katie et Philo, deux jeunes femmes de 18 ans aux liens familiaux ténus, que le destin va réunir plus sûrement le temps d'une danse macabre à travers l'État du New Jersey, durant l'année 1871.


Katie (le roman) possède un nombre incalculable de points communs avec Les aiguilles d'or, le précédent livre de la « bibliothèque McDowell » éditée par le bien inspiré Monsieur Toussaint Louverture. Même style, même technique, même contexte sociohistorique. Même taille et même découpage en courts chapitres. Même genre. Mêmes thèmes forts de la famille, de la mort, de la vengeance et de la morale. Même focus sur les personnages féminins. Si vous avez adoré Les aiguilles d'or, nul doute que Katie est fait pour vous (ça marche dans l'autre sens aussi) !


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Les différences :

- Les Aiguilles d'or a pour sujet central la lutte des classes. S'y affrontent une famille de notables et une autre de basse extraction. L'argent n'est pas un enjeu, car chaque clan possède ses propres sources de revenus. Dans Katie, c'est l'inverse : Katie, Philo, et leurs familles appartiennent à la même classe populaire, et tout tourne autour de l'argent. L'ascension sociale est évidemment toujours en ligne de mire, mais c'est bien le rapport à l'argent qui est mis en avant.


- Les intrigues sont plus nombreuses dans Les Aiguilles d'or, avec davantage de personnages importants, chacun disposant d'un arc narratif propre. La narration alterne à un rythme régulier entre ces différentes trames. Dans Katie, on ne suit que deux trames alternativement : celle de Katie et sa famille d'un côté, celle de Philomela, sa famille et ses connaissances de l'autre. Seules Katie et Philo comptent réellement comme personnages principaux.


- Personnages et scénario sont complètement différents. On trouvera bien quelques ressemblances çà et là, quelques tropes d'auteur exploités de façon similaire. Mais ce qui ressort, c'est l'incroyable aptitude de l'auteur à produire des oeuvres entièrement nouvelles à partir de la même recette et des mêmes ingrédients (thèmes, cadre, technique, genre).


- Katie, avec son don aux contours mystérieux, confère au roman une touche de fantastique qu'on ne retrouve pas dans Les Aiguilles d'or. Cela le rapproche de la série Blackwater, dans une moindre mesure. Un entre-deux qui peut plaire ou au contraire frustrer ceux qui en attendaient davantage de ce côté-là.


- Enfin, côté horreur (et gore, pas la peine d'en faire un secret), la balance penche clairement du côté de Katie (le roman et la fille). « Katie contient certains de mes meurtres les plus effroyables. C'est sans doute mon livre le plus cruel. C'était très amusant à écrire. » Si Blackwater offre également son lot d'émotions dans ce registre-là, la violence dans Katie joue un rôle central.


Pour résumer : avec ses personnages, ses intrigues et ses thèmes plus nombreux, Les Aiguilles d'or peut être d'un accès moins aisé que Katie. le scénario de ce dernier est également plus simple.

Katie est un roman coup de coeur en ce qui me concerne. Pas de ceux qui vous secouent, vous font grandir ou vous emportent dans quelque monde onirique. Non. Paradoxalement (pour ce genre), il est de ceux qui vous plongent dans un petit écrin confortable, provoquent le sourire et vous incitent à apostropher les protagonistes comme je l'ai fait au début de ce billet.



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Sans viser l'exhaustivité ni l'objectivité, voici quelques traits saillants qui m'ont particulièrement plus :


- le thème central de l'argent. La richesse segmente les classes sociales. L'argent monopolise l'attention de tous (et toutes en particulier). Cela est vital pour les pauvres dont la précarité évolue au jour le jour et en cents. C'est une seconde nature pour les usuriers. Les démonstrations de McDowell font mouche, avec une insoutenable légèreté. Je pense bien sûr aux Varley et à leurs intérêts, à la pauvreté écrasante de Philo et de sa mère, mais aussi à l'équation impossible que doit néanmoins résoudre chaque jeune femme célibataire dans le New York de l'Âge d'Or. En disséquant de manière récurrente chacune de ses questions, l'auteur démontre un humanisme puissant et le communique aisément, derrière le divertissement. À noter que l'argent est aussi au coeur de l'intrigue principale, avec le fameux sac de liasses de dollars.


- Des touches d'humour. Il y en a quelques unes, disséminées çà et là. Personnellement, j'ai adoré le paragraphe où Philo se voit expliquer la nature du « secret » par lequel les jeunes femmes célibataires de New York parviennent à équilibrer leur situation financière. Tout repose sur le tabou qu'il y a à évoquer directement « ces choses-là ». Étonnamment, le tabou ne vaut pas seulement pour Philomela la prude, mais également pour les filles les plus rodées à « la technique ». L'auteur fait durer la scène, ce qui devient hilarant, et y retourne même plusieurs fois par la suite. Évidemment, ce focus tout en légèreté ne fait que renforcer, par contraste, la dénonciation de la condition de ces jeunes femmes, leur dilemme et l'hypocrisie de la société qui entretient cela (principalement par la différence de salaire entre les hommes et les femmes). Quand on prend le temps d'y réfléchir, c'est glaçant.


- Les scènes d'horreur, bien sûr. L'aspect gore est parfaitement rendu, toutefois l'auteur ne se contente pas de montrer l'horreur. En spécialiste du genre, il excelle à faire naître l'appréhension, en montrant par exemple l'insensibilité de Katie à ce qui dégouterait la plupart des gens, comme la fameuse scène de la préparation du lapin... OK, il y a du gore dans celle-ci aussi :)


- le scénario captivant. C'est simple et efficace, mais tellement bien fait ! Un sac de billets qui suscite la convoitise, un vol, une injustice, et ça dégénère. Il y a du No Country for Old Men. La linéarité sert le récit, extrêmement prenant. En évoquant ce film cultissime, il me vient un parallèle qui tombe à pic pour expliquer l'apparente facilité avec laquelle Katie « opère » : Avec son marteau, elle fait un peu comme l'énorme Javier Bardem et sa bouteille d'oxygène compressé : le passage à l'acte est tellement inattendu car disproportionné – voire inhumain – que la victime n'oppose aucune résistance. C'est de la sidération.


- Des personnages pas tout à fait stéréotypés. McDowell a le dont de créer des personnages qui fonctionnent. Pour certains, c'est du vu et revu, telle la peste Jewel, réincarnation de Nellie Olson. Pour ses personnages principaux, l'auteur parvient souvent à donner un ascendant qui les complexifie juste ce qu'il faut pour les rendre particulièrement intéressants. Ainsi, Philo a l'air d'une sainte. Humble, dévouée, pure de corps et d'âme. Et ses qualités ne s'arrêtent pas là, tant s'en faut. Pourtant, l'auteur prend comme un malin plaisir à travestir ses pensées quand la perspective de l'héritage de son grand-père – et ses conséquences – se fait jour en elle. À ce moment, son aura d'ange en prend un coup ! Et du côté de Katie, comment dire... Je ne vais pas m'étendre sur ce sujet car je trouve que la perception singulière que chacun peut avoir de ce personnage fait partie du plaisir qu'offre le roman. Je dirais simplement que l'auteur, en la privant de quelques ressources intellectuelles au profit de ressources plus psychiques, a subtilement introduit un élément de nature à tempérer le jugement qu'on peut porter sur Katie.


- Une écriture exigeante pour l'auteur, pas le lecteur. Citons ce qu'en dit l'auteur et critique Alan Ryan : « Les points forts de McDowell sont nombreux. Sa prose est riche, allusive et souvent complexe, mais si bien polie qu'elle ne détourne jamais l'attention.


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